"Monsieur le Président de la République,
J’ai choisi de m’adresser à vous par voie de presse à travers cette lettre
ouverte pour vous dire avec le cœur ce que je pense à ce stade de notre vie socio-politique
et plaider pour un apaisement de la vie politique nationale. Il est vrai que
quand j’ai parlé de mon initiative à certains de mes amis, ils me l’ont tous
déconseillée aux motifs que sur la forme, vous n’écoutez personne, ni ceux qui
sont proche de vous et encore moins ceux qui, comme moi, sont loin de vous et
sur le fond parce que vous serez dans une logique à la Erdogan ou à la Kagame
et que donc la recherche de solution à cette crise n’est pas votre
préoccupation première. Et pourtant je me suis entêté à le faire. En
choisissant d’intituler cette lettre ouverte, « Tout devient possible » ! c’est
un clin d’œil que je fais à notre histoire politique récente et en particulier
au Président Robert Dossou qui déclarait en février 1990 sur les antennes de
RFI, lorsque la Conférence nationale avait proclamé sa souveraineté que « tout
devenait possible » ! : c’était sa façon à lui de conjurer la violence qui
pouvait en découler.
Le jeudi 4 avril 2019, cela faisait exactement trois ans que vous avez
accédé à la Magistrature suprême. Ce devait être l’occasion de faire le bilan
de votre mandat à mi-parcours mais l’actualité pré-électorale est venue
l’éclipser. En effet, au cours du Conseil des Ministres du mercredi 3 Avril
2019, votre gouvernement a annoncé que le processus électoral allait se
poursuivre avec les deux seuls partis politiques que vous avez créés à savoir,
le Bloc Républicain et l’Union progressiste. Ce faisant, vous avez ouvert une crise
absolument inopportune qui constitue la goutte d’eau qui a précipité le pays
dans une situation pré-insurrectionnelle.
Monsieur le Président de la République,
Cette crise pré-électorale que vous aviez les moyens d’éviter est
absolument inopportune parce qu’elle vient en rajouter à une situation sociale
déjà extrêmement morose et tendue par vos trois années de gestion des affaires
publiques.
En effet, en trois années de gestion, votre bilan socio-économique est
difficilement défendable : vous avez déguerpi les plus fragiles ; vous avez
limogé beaucoup d’autres, moins fragiles ; vous leur avez supprimé leurs
primes, aux fonctionnaires. Pour les plus forts, vous les avez détruits,
broyés, humiliés et jetés sur les routes de l’exil, ce même exil que vous avez
connu et que vous n’avez ni aimé, ni supporté : je pense à Sébastien Germain
Ajavon dont le cas est symptomatique puisque vous refusez même d’exécuter les
décisions de la Cour africaine des droits de l’homme qui sont en sa faveur et
qu’il a obtenues au prix de lourdes batailles judiciaires. Et pourtant, vous
définissiez si justement au cours du débat d’entre deux tour un Etat voyou
comme un « Etat qui ne respecte pas les décisions de Justice ». Par votre
politique fiscale, vous avez jeté beaucoup d’anonymes, de jeunes opérateurs
économiques dans les rues de la sous-région par les nombreux redressements
fiscaux fantaisistes de nos services fiscaux ; depuis lors, ils contribuent à
la création de la richesse chez nos voisins, qu’il s’agisse du Togo, de la Côte-d’Ivoire,
du Mali ou du Burkina Faso.
De plus, les Béninois ont le sentiment, à tort ou à raison, que la richesse
nationale est trop inégalement répartie. Ils tiennent ça de l’écart faramineux
qui existe entre les salaires, d’une part, de vos différents ministres et
cadres que vous avez ramenés de l’extérieur et que vous avez recrutés dans les
différentes agences créées par vos soins et, d’autre part, des Béninois vivant
à l’intérieur et qui ont tout donné pour hisser le pays à son niveau actuel :
ils se sentent méprisés par vous et traités inéquitablement. Pour eux, la
démocratie recule parce qu’en plus de tout cela, vous donnez le sentiment de ne
respecter les décisions de la Cour constitutionnelle que de façon aléatoire et
parcimonieuse.
Par ailleurs, la loi sur l’embauche crée un sentiment de précarité et de
fragilité chez les travailleurs. Et pourtant, quand on voit d’où vous êtes parti, tous les Béninois, sans
exception aucune, et moi le premier, auraient souhaité la réussite de votre
mandat pour la simple et unique raison que si vous le réussissez, les premiers
bénéficiaires seraient nous, les Béninois et le Bénin et vous-même, vous n’en
tirerez une quelconque gloire qu’en seconde et dernière position. La réussite
de votre mandat aurait donc supposé que les Béninoises et Béninois se sentent
juste un peu plus heureux et en sécurité.
Monsieur le Président de la République,
Tout le monde a encore en mémoire vos relations tumultueuses avec votre ami
puis adversaire, le Président Boni Yayi tout au long de son second mandat. Il
vous a banni, contraint à un peu plus de trois années de dur et pénible exil en
France rythmées de procédures judiciaires à rebondissements ; il vous a absout,
vous êtes rentré ; il vous a permis de vous présenter à l’élection
présidentielle de 2016 et il vous a laissé battre campagne, en toute sécurité ;
puis, avec le soutien de quelques autres candidats notamment Sébastien Germain
Ajavon arrivé troisième, vous avez réalisé une première dans l’histoire
politique et électorale récente de notre jeune démocratie, à savoir être élu au
second tour avec près de 70% en étant arrivé deuxième au premier tour. Il vous
a passé service puis s’en est allé tranquillement en vous offrant une Bible. Depuis lors, ce Peuple et ce pays qui vous ont tout
donné n’attendent de vous qu’un juste retour. Certains ont même cru naïvement
et d’autres continuent de croire encore, qu’un jour viendra enfin, où vous
ouvrirez ces « conteneurs d’argent de Kadhafi » et qu’à ce moment-là, ils
prendront leur part, soit à titre individuel soit, à titre collectif à travers
la construction d’infrastructures socio-économiques. Mais au lieu de cela et en
plus de la conjoncture socio-économique difficile, vous avez opté pour
l’ouverture d’une crise politique et électorale sans précédent en décidant
d’aller aux élections législatives de 2019 avec vos seuls fidèles de l’Union
progressiste et du Bloc républicain. Même les hypothèses les plus farfelues avancées
par les uns et les autres pour expliquer cette crise, à savoir que vous avez
conscience que dans le cas d’élections ouvertes, vous perdrez à tous les coups
alors que vous auriez besoin d’une majorité confortable pour une révision
opportuniste de la Constitution ne suffisent pas à m’en convaincre.
Monsieur le Président de la République,
Cette crise pré-électorale a débuté avec les lois électorales votées et
promulguées moins de six mois (septembre-janvier) avant le début du processus
électoral en violation des dispositions du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie
et la bonne gouvernance ; elle s’est poursuivie par une Cour constitutionnelle
qui change les règles du jeu en cours du jeu en inventant de toute pièce le
fameux certificat de mise en conformité et elle s’est durablement installée,
d’une part, avec un Ministre de l’Intérieur qui refuse de délivrer les
certificats de mise en conformité avec des arguments, tous aussi fallacieux les
uns que les autres, et d’autre part, avec une Cena qui concède à certains
partis un traitement de faveur en qualifiant de « mineures et de légères » les
fautes relevées dans leurs dossiers. Le clou dans cette crise, c’est quand la
Cour constitutionnelle, saisie par le PRD pour faire constater que vos deux
partis ont bénéficié de faveurs de la part de la CENA, a décidé de ne pas se
prononcer sur le fond du dossier et l’authenticité des éléments de preuve
produits mais plutôt de ne s’intéresser qu’à comment le PRD a pu les obtenir.
Et pour couronner le tout, son action a valu au Président de l’Assemblée
nationale, deuxième personnage de l’Etat et Président du PRD, une convocation à
la Brigade criminelle, le tout en pleine session parlementaire : le malaise
était total. Pensiez-vous très sincèrement que face à de telles maladresses et
à de tels abus de pouvoir les partis politiques de l’opposition et leur
électorat auraient accepté, les bras croisés, sans rechigner, cette situation
de fait ? Je ne le pense pas ; je pense même que les surenchères verbales de
votre Secrétaire d’Etat à la défense ne feront que renforcer leur détermination.
Et le fait que ce ne soit pas votre Ministre de l’Intérieur qui monte au
créneau pour menacer mais votre Secrétaire d’Etat à la Défense, c’est-à-dire,
vous-même par procuration, ne présage de rien de bon.
Avez-vous imaginez-vous, ce qu’il serait advenu en 2016 si, le Président
Boni Yayi vous avait empêché, par les mêmes méthodes de vous présenter à
l’élection présidentielle. Ou encore ce qu’il serait advenu de notre démocratie
si le même Yayi Boni avait réussi, par modifications successives des lois électorales,
à empêcher l’Union fait la Nation, le PSD, la RB, le PSD et le MADEP d’aller aux élections législatives de 2015 en n’autoriser que les
seules listes FCBE et leurs alliées ? Imaginez un seul instant que par
manœuvres successives, il eut empêché Adrien Houngbédji d’être élu Président de
l’Assemblée nationale au profit de Komi Koutché en 2015 ?
Heureusement que face à tout ceci, il vous a plu, vous-même, de reconnaître
que nous étions dans l’impasse ; c’était le mercredi 6 Mars. Ce fut, à mon
sens, un vrai acte de courage politique et surtout la manifestation d’un sens
très élevé de responsabilité. Sur ces entrefaites, vous avez décidé,
opportunément d’ouvrir un processus politique devant conduire à un consensus
qui lui-même devait se traduire par de nouvelles lois ; vous en aviez confié la
charge au Président de l’Assemblée nationale. Mais pour une fois depuis trois
ans, votre majorité à l’Assemblée nationale, le Bloc de la Majorité
Présidentielle (BMP) ne vous a pas obéit ; elle n’a pas voté les yeux fermés
comme vous le leur aviez demandé le jour du lancement du PAG. Le Député
Jean-Michel Abimbola a même cru pouvoir siffler la fin des discussions et
décider d’inviter nos concitoyens à se rendre aux urnes le 28 avril. Beaucoup
ont pensé, dit et écrit qu’il ne pouvait agir ainsi sans instruction de votre
part. Je fais partie de ceux qui naïvement n’ont pas pensé ainsi. Tellement
j’étais convaincu que l’échec des députés ne signifiait, en aucun cas, la fin
des initiatives présidentielles. Je continue de penser que l’article 68 peut
vous permettre de sortir le pays de cette impasse.
Mais que l’Assemblée nationale vous accompagne dans ce qu’il faut bien
appeler cette mésaventure ne surprend personne. On la savait majoritairement
acquise à votre cause depuis au moins 2016, 2017 quand vous leur avez demandé,
maladroitement il faut bien le dire, de voter tous vos projets de lois les yeux
fermés.
Monsieur le Président de la République,
Que les membres de votre Gouvernement vous accompagnent dans cette mésaventure,
n’a également rien de surprenant, ils ne doivent ce qu’ils sont qu’au fait du
Prince.
En revanche, ce que l’on comprend moins, c’est le soutien unanime et
aveugle de l’ensemble des Présidents d’Institutions, qu’elles soient
constitutionnelles ou non. Si parmi eux, certains semblaient acquis à votre
cause et le feraient sans réserve, on s’interroge sur le soutien d’autres parmi
eux. Dans le lot de ceux dont le soutien à ce processus ne surprendra personne,
il y a d’abord Joseph F. Djogbénou, Agrégé de Droit privé de son Etat,
Président de la Cour constitutionnelle, dont vous vous servez depuis quelques
années déjà pour discréditer, décrédibiliser et dévaloriser toute
l’intelligentsia béninoise. Sa présence à vos côtés ne vous avait pas empêché
de déclarer que « le Bénin est un désert de compétence ». Et lui aussi qui est
du concours d’agrégation le plus controversé et le plus contesté de toute
l’histoire du concours de droit privé du CAMES se prête au jeu par sa capacité
à dire tout et son contraire en l’intervalle de quelques années, voire de
quelques mois. Il y a ensuite Adam Boni Tessi, l’incohérent et inconstant
Président de la HAAC qui pourtant n’a pas de mandat à renouveler. Il y a
ensuite encore Tabé Gbian du Conseil économique et social ; mais pouvait-il
faire autrement, lui, le frère du deuxième Vice-président de l’Assemblée
nationale, le Général Robert Gbian, membre fondateur de l’un de vos deux partis
? Il y a, encore et encore, Madame Marie-Cécile de Dravo, épouse Zinzindohoué,
la Présidente par procuration de la Haute Cour de Justice. Il y a enfin, Joseph
Gnonlonfoun, Médiateur de la République illégal et illégitime.
Mais dans le lot de ceux dont le soutien à ce processus surprend, du fait
de leur forte personnalité connue et surtout de leur engagement passé dans la
construction de notre jeune démocratie, il y a d’abord, Adrien Houngbédji,
Président de l’Assemblée nationale, personnage certes controversé, mais dont la
vie peut se résumer à la défense de la démocratie dans notre pays. Il est juste
impensable qu’il ait validé une décision qui élimine sa candidature personnelle
et qui élimine de surcroît celle de toute la liste du PRD, parti pour lequel il
a consacré toute sa vie, ces trente dernières années. Il y a ensuite, Ousmane
Batoko, Président de la Cour Suprême, pour qui j’ai toujours eu un profond
respect, non seulement pour sa force de caractère, sa franchise et son
objectivité dans l’analyse de la vie politique béninoise depuis trente ans mais
aussi et surtout pour le rôle actif qu’il a joué aux côtés du Président Mathieu
Kérékou dans l’avènement pacifique de la démocratie dans notre pays. Il y a
enfin Emmanuel Tiando, un homme de principe qui ne peut éternellement se cacher
derrière le fait que « la Cena est un organe technique d’exécution des lois et
des règlements » pour avaler de telles couleuvres.
Il y a enfin la batterie d’universitaires que vous avez appelés à la
rescousse ; ils ont tous, autant qu’ils étaient été maladroits dans leur
argumentaire et la sanction sociale à leur égard a été immédiate. Ce qui a été
extraordinaire dans leurs développements, c’est leur volonté systématique de
vous contredire et de vous désavouer ; ce fut surréaliste et ubuesque à la
fois.
Alors que vous avez reconnu, vous-même, que nous étions dans une impasse,
eux, défilent les uns après les autres sur les plateaux de télévision, dans les
studios de radio et dans les colonnes de la presse écrite pour affirmer le
contraire et dire qu’il n’y a jamais eu de crise, a fortiori d’impasse :
circulez, il n’y a rien à voir. Cela pose tout de même un problème de
conscience à moins que comme le suggérait il y a quelques jours le Père Eric
Aguenounon dans le titre d’un article récent « ils n’ont jamais aimé le Bénin
et ils n’aident pas Patrice Talon » : je finis par le croire aussi.
Monsieur le Président de la République,
C’est la première fois que nous vivons une période pré-électorale aussi
tendue qui vous oblige à faire circuler des chars légers au centre des villes
avec des militaires armés jusqu’aux dents, sans compter l’épisode jamais
démenti de la présence militaire rwandaise et de ses excès. La Police
Républicaine est sur-sollicitée pour dissuader et éviter des violences qui
elles-mêmes sont évitables. Le bilan humain est déjà trop lourd et est fait de morts
et de blessés, même si les chiffres sont toujours contestés. Mais même un mort
ou un blessé, c’est toujours un mort et un blessé de trop. Combien de Béninois
ces fonctionnaires de la Police Républicaine et ces militaires pourront-ils
arrêter, blesser ou tuer pour permettre au processus électoral de se poursuivre
? Se souviennent-ils seulement qu’ils sont logés, nourris et équipés grâce aux
impôts payés par les Béninois et qu’ils n’ont pas été créés pour les arrêter,
les blesser et les tuer ? Se souviennent-ils qu’ils ont été créés pour vous
aider dans votre noble mission de nous protéger, d’assurer notre sécurité
conformément aux dispositions pertinentes des articles 8 et 15 de la Constitution qui disposent aux termes de l’article 8 que « la personne humaine
est sacrée et inviolable. L’État a l’obligation de la respecter et de la
protéger. Il lui garantit un plein épanouissement. A cet effet, il assure à ses
citoyens l’égal accès à la santé, à l’éducation, à la culture, à l’information,
à la formation professionnelle et à l’emploi » et aux termes de l’article 15
que « tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité et à
l’intégrité de sa personne ».
Savent-ils qu’ils verront demain, en cas de bavures, leur responsabilité
individuelle engagée et sanctionnée ? Irons-nous voter sous la protection des
policiers et des militaires le 28 avril prochain ? Combien de Béninois la
Justice va-t-elle juger et enfermer dans les prisons ou jeter sur les voies de
l’exil ? Et par finir, avez-vous la conscience réellement tranquille quand vous
voyez les militaires dans leurs chars légers, force de défense s’il en est,
sillonner les rues de nos villes pour intimider nos concitoyens ? Je n’en suis
pas sûr, je ne veux surtout pas le croire.
Monsieur le Président de la République,
Ce dont je suis en revanche sûr, c’est que nous sommes déjà dans ce que
j’appelle une situation pré-insurrectionnelle. Mais comme tous les gouvernants
du monde entier, du fait de l’isolement du pouvoir, vous ne vous rendez pas
compte que votre gestion des affaires publiques a précipité le pays au bord de
l’insurrection. En effet, les gouvernants sont tellement coupés du Peuple et de
ses réalités qu’ils ne savent plus apprécier ce que j’appelle le « seuil de
tolérance » de leur société, entendu comme le niveau à partir duquel le moindre
acte, souvent insignifiant, la fait basculer dans la violence : c’est également
ce que j’appelle la situation pré-insurrectionnelle et je crains fort que la
poursuite du processus électoral est cet acte insignifiant qui fera basculer
notre société dans la violence. Je ne le souhaite pas, bien entendu, mais pour
qu’il en soit autrement, il ne tient qu’à vous d’arrêter ce processus devenu
illégitime.
C’est pour n’avoir pas su apprécier le seuil de tolérance de son Peuple que
Blaise Compaoré a quitté le pouvoir un an avant la fin de son mandat. Il
invoquait aussi des prérogatives que lui conférait la Constitution de son pays.
C’est également pour n’avoir pas su l’apprécier qu’Abdelaziz Bouteflika a dû
démissionner quelques jours avant la fin de son mandat. Et pourtant, il n’a
émis que la volonté de briguer un cinquième mandat que pourtant la Constitution
de son pays lui permettait : la suite, on la connaît. On pourrait dire la même
chose, hier, de la Tunisie de Ben Ali ou encore de l’Egypte de Hosni Moubarak
qui jouissaient l’un et l’autre de la légalité la plus parfaite et peut-être
aussi d’une certaine légitimité. Plus loin encore, on pourrait également
expliquer l’implosion des pays du Bloc de l’Est à savoir, la Roumanie,
l’Allemagne de l’Est, la Tchécoslovaquie, la Pologne et autres par l’incapacité
de leurs gouvernants à identifier le seuil de tolérance de leurs peuples
respectifs. Même des pays très avancés n’arrivent pas toujours à évaluer avec
précision le seuil de tolérance de leur société ; je pense à la France qui n’a
pas vu venir la crise persistante des « gilets jaunes ».
Monsieur le Président de la République,
Pour finir, j’ai juste envie de dire, tout ça pourquoi, cette crise
électorale pour quelle finalité ? Doit-on trouver les prémisses de réponse dans
le papier du Docteur Faustin Ahissou, paru dans le quotidien Le Matinal dans sa
livraison du vendredi 5 avril 2019, qui officiant pour vous, terminait sa
réflexion en s’interrogeant en ces termes : « finalement qu’est-ce que la
démocratie » ? La réponse qu’il entrouvre montre bien, non seulement son
ignorance de notre histoire politique récente mais aussi et surtout l’immaturité
de sa pensée en matière démocratique. Sinon, comment peut-il répondre, je cite
: « évidemment, c’est une vision du monde aux contours flous, difficile à
théoriser qui pose plus de problèmes qu’elle ne fournit de solutions », fin de
citation. Il poursuit : « Nous ne pouvons pas continuer dans ce système sans créer
de fausses crises auxquelles les sachants proposent de fausses solutions ». Et
il conclut : « c’est pourquoi je crois profondément que l’élite scientifique
doit repousser les limites des certitudes actuelles pour documenter des
solutions alternatives au système démocratique qui est totalement décalé par
rapport à nos pratiques culturelles » : c’est une hérésie et je crois pouvoir
dire qu’il a raté-là une occasion de se taire. Je ne veux pas penser un seul
instant qu’il serait le fidèle interprète de votre pensée et de votre
philosophie politiques. Je m’en tiens à votre déclaration sur Rfi, il y a
quelques années pour expliquer votre divorce avec Boni Yayi, dans laquelle vous
affirmiez que « le Béninois est attaché à sa démocratie ».
Le Père Eric Aguenounon dans un autre de ses articles intitulé « Le Bénin
grippé sous Talon mais ne mourra pas ! Des dirigeants politiques puissants,
ondoyants et pourtant mortels… » percevait déjà ces signes de dérive inavouée
quand il écrivait : « il semble qu’on veuille renouveler toute la classe
politique, il semble qu’on souhaite un pays politiquement monocolore pour mieux
diriger, il semble qu’on souhaite une démocratie propre au Bénin » !
Mais il poursuit immédiatement par un avertissement : « ne serait-il pas
prétentieux de croire que cela soit favorable à la paix, que le Peuple soit si
doux et que ce soit juste une partie du peuple qui soit manipulée ? Un peuple
pauvre, affamé, analphabète est peut-être fragile, mais constitue une braise ».
Vous n’êtes au pouvoir que grâce à la démocratie, fut-elle imparfaite et
vous ne pouvez tout seul remettre en cause ce modèle. Pour y arriver, il vous
faudra une très large consultation populaire afin de vous assurer que c’est
bien de votre nouveau système non encore dévoilé et exposé que le Peuple qui
vous a investi désire. Souvenez-vous toujours que l’on ne peut faire le bonheur
d’un Peuple contre sa volonté ; tous ceux qui l’ont pensé avant vous ont
échoué.
Monsieur le Président de la République,
Quel que soit le degré de violence que nous atteindrons au cours de cette
crise pré-électorale, même si c’est une violence résiduelle, qu’il s’agisse des
morts et des blessés de Kilibo, de Tchaourou ou encore de Cotonou le 4 avril
dernier et d’ailleurs, ce serait un échec personnel pour vous. Vous aurez sur
les mains, du sang de Béninois alors que vous avez la charge d’assurer et de
garantir leur sécurité. L’histoire retiendra surtout que c’est durant votre
mandat que la violence électorale est apparue dans notre vie politique et que
c’est sous votre mandat que la culture de la paix qui caractérisait si tant la
vie politique béninoise a cédé la place à la culture de la violence, source
d’instabilité permanente. Comme dirait l’autre « on sait quand ça commence mais
on ne sait jamais quand ça finit ».
Monsieur le Président de la République,
Il est encore temps de bien faire. Ne vous laissez pas submerger par les
faucons de votre camp ; vous seul aurez un bilan à défendre ; eux n’ont pas été
élus et ne sont responsables devant personne. Que vaut un léger retard dans un
calendrier électoral fut-il constitutionnel face à un brasier ? RIEN et vous
pouvez toujours interrompre ce processus vicié pour retrouver le sens de la
vertu, afin que tout ne devienne pas possible !
Je finirai ma lettre ouverte par cette réflexion du Père Eric Aguenounon au
sujet de la fonction présidentielle qui sonne un peu comme une exhortation, un
appel ultime au juste retour à la norme. Il écrivait, toujours dans le même
article précédemment cité que « la fonction présidentielle ne divise pas, ne
poursuit pas. Elle délègue, rassemble, coordonne, garantit l’indépendance des
institutions et ne terrorise personne, pas parce qu’elle a, elle-même peur.
Mieux, elle protège les libertés publiques, écoute humblement les corps
constitués de la Nation, sauvegarde la paix et se met au-dessus des clivages
politiques et des règlements de compte. Etre Président de la République…c’est
une vocation, un service, un sacrifice » !
Mes salutations respectueuses !"
Par Topanou Prudent Victor K. Kouassivi
Maître de conférences de Science politique
Université d’Abomey-Calavi
Ancien Garde des Sceaux
Commandeur de l’Ordre National du Bénin
Email : victor.topanou@gmail.com
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